Histoire de la ferme basque
L’histoire raconte qu’un beau jour d’été, un héros courageux appelé “San Martintxiki” parvint à voler une poignée de graines de blé aux seigneurs de la montagne, les géants Basajaunak, et qu’il se débrouilla plus tard pour les épier pendant qu’ils causaient de choses et d’autres. Il put ainsi découvrir à quelle époque de l’année il fallait les semer.
Cette vieille légende que le Père José Miguel de Barandiarán apprit pendant son enfance à Ataun raconte les péripéties d’une aventure fantastique qui fit découvrir aux Basques les secrets de l’agriculture, qui n’étaient connus auparavant que par les créatures et les dieux des forêts.
Ce fut en volant leurs secrets aux anciens dieux que les bergers et récolteurs affamés du Gipuzkoa entreprirent leur transformation en laboureurs et inaugurèrent un long cycle culturel qui allait s’étendre jusqu’à la Révolution Industrielle.
Le cycle de la civilisation agricole constitua un long processus au cours duquel le paysage écologique du territoire s’efforça de s’adapter à la cadence lente des travaux de labourage, et autour duquel se formèrent les communautés de laboureurs qui petit à petit feraient de leurs maisons un outil de travail sophistiqué, ainsi que la plus grande expression de leur propre identité culturelle.
Il y a longtemps que la porte de l’âge mythique où vécurent San Martintxiki et les Basajaunak, s’est fermée pour ne plus jamais s’ouvrir. Par malheur nous ne pouvons plus regarder par le trou de la serrure afin de découvrir la façon dont les premiers paysans du Gipuzkoa se débrouillèrent pour exploiter la terre vierge de leurs vallées, et c’est pourquoi il nous est difficile d’imaginer comment ils s’organisaient et dans quelles conditions ils vivaient: comment étaient leurs maisons, où étaient-elles situées et où commencèrent-ils à stocker leurs premières récoltes de céréales.
Le problème nous paraît grave, mais en réalité il ne l’est pas si nous nous intéressons surtout à l’histoire de la ferme basque au sens strict du terme, et si nous ne voulons pas nous perdre dans les méandres magiques de la légende. Une chose est l’origine mythique de la ferme basque, et une autre son histoire réelle en tant que type spécifique de maison régionale européenne. Fort heureusement, pour suivre la piste des premières traces dignes de foi, il n’est pas nécessaire de plonger dans la nuit des temps ni de remonter jusqu’à la révolution néolithique; il suffit d’aller les chercher à la fin du Moyen-Age. Les sources d’information dont on dispose aujourd’hui, même si elles sont limitées jusqu’à l’exaspération, arrivent à couvrir toutes les étapes de la vie de la maison rurale de Gipuzkoa. Il est vrai que les premiers pas de sa trajectoire se perdent un peu dans la brume des temps et nécessitent d’une étude plus approfondie, mais il est possible d’assurer cependant que l’histoire de la ferme basque renferme deux moments-clés pouvant être considérés comme les vrais points de départ de leur biographie. Chacun d’eux fait référence à l’une des possibles définitions du terme “caserío” (ferme); un nom ayant une signification ambigüe, et qui désigne aussi bien l’institution économique que le logement qui l’abrite.
Si la ferme basque est interprétée dans son sens économique le plus ample, c’est-à-dire comme une cellule fondamentale de production familiale dans une société rurale de montagne, nous sommes alors en mesure d’affirmer qu’il s’agit d’une institution d’origine médiévale qui fut configurée entre les XIIème et XIIIème siècles.
Si, au contraire, nous entendons par “ferme basque” un certain type de bâtiment, c’est à dire un modèle d’architecture ayant une identité spécifique, nous parlons alors d’une formule régionale de métairie moderne ayant une ancienneté de cinq-cents ans maximum: âge qui n’est dépassé par aucun édifice rural exiatant aujourd’hui à Gipuzkoa.
Un aspect singulier des fermes basques est celui de leur nom propre, reconnu par les autorités et par le voisinage, et qui est habituellement invariable tout au long de l’histoire. Cela permet de les identifier facilement, mais aussi de provoquer des malentendus, comme par exemple celui d’attribuer au bâtiment la même ancienneté que le nom de l’unité économique établie sur son domaine depuis des époques presque toujours antérieures. Le nom et le domaine restent unis sans aucun changement, tandis que la maison change sa physionomie au rythme des temps. Cependant, lorsqu’un paysan est interrogé sur l’ancienneté de la maison qu’il habite, il essaie toujours de remonter à l’origine du domaine, sans faire attention à la vétusté ni à la modernité de l’architecture du bâtiment.
Laboureurs et fermes basques au Moyen-Age
Les laboureurs constituaient la classe sociale la plus nombreuse du Gipuzkoa au cours du Bas Moyen-Age, mais ils étaient considérés comme des personnes de catégorie inférieure par rapport aux seigneurs et hommes riches. Ils formaient un groupe vaste de familles qui vivaient effrayées sous la menace constante des rentiers ruraux et soumises aux abus d’un groupe d’aristocrates locaux de petite taille mais ayant des ressources suffisantes pour maintenir quelques hommes armés à leur service et de se faire respecter par la force.
Les paysans ne constituaient pas un groupe homogène: ils étaient divisés en trois échelons. Les plus favorisés étaient les “fijosdalgo” ou propriétaires libres, maîtres de plein droit de la terre qu’ils cultivaient et sans obligations fiscales envers le roi ou envers un seigneur quelconque.
En dessous d’eux le sous-groupe majoritaire –qui dans de nombreuses contrées comprenait les deux-tiers de la population paysanne- était intégré par les laboureurs appelés horros ou pecheros du roi (soumis aux impôts du roi), génériquement libres, qui géraient leurs fermes de manière autonome, mais qui ne pouvaient les abandonner sans laisser un parent qui les remplace à la tête de l’exploitation, parce que la terre qu’ils travaillaient appartenait à la couronne et avec leur récolte ils étaient obligés de payer toute une série d’impôts (pechos), tels que la martiniega (impôt à payer le jour de la Saint-Martin), l’infurción (à payer au seigneur pour le domaine), le fonsado (impôt couvrant les frais occasionnés par la guerre) et les services (impôts sur le bétail). A cause de l’éloignement du monarque, leur situation de dépendance fut de plus en plus facile à supporter, mais en échange ils devinrent une proie très facile face aux agressions des seigneurs locaux.
Vers la fin du XIVème siècle, pendant la période la plus virulente de la grande crise du Bas Moyen-Age, beaucoup de paysans cherchèrent la protection juridictionnelle des villes face à la violence des seigneurs, et se montrèrent mème prêts à payer pour cette protection. C’est ainsi que les voisins d’Uzarraga s’intégrèrent comme contribuables à Bergara (1391), ceux d’Ataun, Beasain, Zaldibia, Gainza, Itsasondo, Legorreta, Alzaga, Arama et Lazkano à Villafranca (1399), et ceux d’Udala, Garagarza, Gesalibar et Uribarri à Arrasate (1405). Cependant, au 16ème siècle, lorsque la paix domina enfin les champs du Gipuzkoa, les anciens pecheros ou paysans libres soumis aux impôts du roi devinrent prospères et arrivèrent à la hauteur des laboureurs libres; ils exhibèrent l’ancienneté de leurs fermes et s’attribuèrent le titre pompeux de “seigneurs de leur ferme et de leur domaine”.
A l’échelon inférieur de la pyramide sociale médiévale se trouvaient les collazos, les vassaux du domaine: paysans sans aucune liberté personnelle et qui, parmi beaucoup d’autres restrictions, ne pouvaient reconstruire leur ferme ni même se marier sans le consentement du seigneur qu’ils servaient.
La plus grande crainte des laboureurs “fijosdalgo” et des “pecheros” étaient d’être dominés de façon collective par quelque noble ou grand Seigneur qui pourrait les humilier ou les traiter comme des vassaux, comme l’avaient fait les Lazcano avec les habitants d’Areria jusqu’en 1461. Cependant, le danger le plus fréquent était celui de attaques armées dont les fermes faisaient l’objet de manière individuelle, en profitant du fait qu’elles étaient très souvent assez éloignées les unes des autres, ou éparpillées, comme le disaient les habitants de Mendaro en 1346. Quelques années auparavant, en 1320, la commune d’Oiartzun avait clairement décrit la situation au roi Alphonse XI, en signalant:
“sus casas de morada eran apartadas las unas de las otras e non eran poblados de so uno (...) e tan aina no se podían acorrer los unos a los otros para se defender de ellos de los males, e tuertos, e robos que les facían”
(“leurs maisons étaient éloignées les unes des autres et les hameaux n’étaient habitées que par une seule famille (...) de telle manière qu’ils ne pouvaient se porter secours pour se défendre des bandits et des maux, torts et vols qu’ils leur faisaient subir.”)
Des arguments similaires concernant la dispersion furent exposés par les laboureurs de Zumaia (1347) et ceux d’Usurbil (1409), laissant entendre que cette structure était commune à tout le territoire. Cependant, il semble que cette observation serait quelque peu exagérée, produit de la nervosité née de l’insécurité des temps et du souhait de fonder des villes sous la protection des privilèges royaux. Là où il a été possible de reconstruire, bien qu’en partie, la carte de la population rurale du XIVème siècle –à Antzuola, Bergara et quelques villes du Goiherri- l’on a constaté l’existence d’un site en forme d’essaim à mi-pente ou au pied des montagnes, avec une forte saturation de petits lots de terrain utilisés au maximum. De même, il a été possible de vérifier que les fermes isolées et à haute altitude, n’existaient pratiquement pas, et qu’au contraire les quartiers ou hameaux étaient déjà bien délimités en tant que cercle fondamental d’organisation sociale des laboureurs.
De la chaumière à la maison à chaux et à sable
Le logement des paysans du Gipuzkoa au Moyen-Age ne ressemblait en rien aux fermes qui commencèrent à s’édifier vers la fin du XVème siècle. Bien qu’aucune de ces maisons ne s’est conservée jusqu’à nos jours, on pu savoir qu’il s’agissait de chaumières très fragiles et inconfortables. C’étaient des chaumières en bois qui n’étaient pas construites avec des troncs: elles avaient une armature intérieure avec des piliers et les quatre murs extérieurs étaient constitués par des planches verticales assemblées entre elles.
Les chaumières médiévales étaient beaucoup plus petites que les fermes actuelles, mais il y avait de l’espace pour les animaux et pour stocker la paille, outre l’espace réservé à la famille. Cependant le pressoir, les greniers, la porcherie et le bercail étaient situés dans des bâtiments annexes. Le toit de ces bâtiments était déjà en tuiles cannelées, du moins celui de la maison principale.
Les premières fermes en pierre du Gipuzkoa commencèrent à se construire au cours du XVème siècle, et soulevèrent l’admiration et l’envie de tout le voisinage. Seuls les paysans les plus riches pouvaient se permettre le luxe d’édifier une maison “à chaux et à sable” et de payer un salaire aux équipes de tailleurs de pierres qui devaient l’extraire et la travailler. Le bois de chêne, au contraire, était accessible et bon marché, même pour les paysans les plus pauvres, car tous pouvaient abattre de façon gratuite tous les arbres dont ils avaient besoin pour construire leur maison dans les fôrets communales.
Bien qu’à la fin du XVème siècle la construction de nouvelles maisons en maçonnerie est de plus en plus fréquente, le moment décisif de la naissance de la ferme du Gipuzkoa sous la forme dans laquelle elle est connue aujourd’hui se produisit au cours de la première moitié du XVIème siècle. Le sentiment de sécurité et de prospérité qui se répandit alors à travers la campagne, ainsi que les nouvelles possibilités de faire fortune qui s’offrirent après le règne des Rois Catholiques, aussi bien en Amérique qu’en Andalousie, permirent aux paysans de vivre plus aisément et de concevoir des plans plus optimistes face à l’avenir. Le danger de souffrir des assauts et des vols de la part des nobles n’existait plus, et au cœur des familles paysannes le souhait d’habiter un logement digne et durable qui remplace les chaumières délabrées qui leur avaient servi de refuge jusqu’alors prit une importance prioritaire.
Ce fut une véritable explosion de nouvelles fermes construites en bois ou en pierre, ou plus souvent en utilisant des techniques mixtes selon lesquelles les deux matériaux se combinaient pour offrir des solutions ingénieuses.
Plusieurs centaines de fermes édifiées au XVIème siècle sont toujours debout et ce qui surprend le plus, outre leur ancienneté, est le très haut niveau de qualité des travaux de menuiserie et des ouvrages en pierre de taille, très souvent supérieur à celui des maisons édifiées des centaines d’années plus tard. Ce sont des logements ruraux réalisés avec une mentalité moderne et exigeante. A l’intérieur, les fonctions sont bien définies et les espaces intérieurs sont vastes. Bien qu’il y ait beaucoup de variétés locales, toutes comportent deux étages: l’étage inférieur pour la famille et les animaux domestiques, l’étage supérieur pour garder la récolte.
Les principales cueillettes des vallées du Gipuzkoa au XVIème siècle étaient les pommes et le blé, et cette spécialisation se reflétait clairement dans l’architecture de la demeure. De nombreuses fermes de cette période étaient construites autour de l’armature d’un pressoir gigantesque en bois qui occupait toute la longueur du bâtiment et dans lequel étaient pressés les fruits cueillis à la fin de l’été. Même si toutes les maisons de l’époque avaient des fûts pour conserver le cidre, un grand nombre d’entre elles avaient une cave au sous-sol qui était construite en profitant de la dénivellation naturelle du terrain.
Le blé moissonné était également conservé dans les caves, bien protégé dans de grands coffres en bois. Le blé était l’unité de mesure de la richesse et c’est pourquoi, dans la zone ouest du territoire –la vallée de Deba- les paysans les plus riches eurent l’idée d’ériger de grands greniers en bois sur pilotis devant la maison, et les ornèrent de belles tailles et figures géométriques. Ils savaient que le respect dont ils jouiraient dans la région serait d’autant plus grand que leur grenier était beau et vaste. Aujourd’hui seul le magnifique grenier sur pilotis de la ferme Agarre, de Bergara, nous est parvenu intact, mais il y a de nombreux indices qui nous démontrent que beaucoup d’autres disparurent petit à petit à partir du XVIIème siècle.
Le XVIème siècle fut certainement l’étape la plus heureuse de la vie des fermes du Gipuzkoa. La propriété de la terre était suffisamment distribuée et les paysans pouvaient jouir des fruits de leur travail dans une ambiance économique optimiste et expansive. Il est vrai que le climat, le type de sol et la dure orographie du territoire n’étaient pas les plus indiqués pour cultiver les céréales, mais grâce à l’effort soutenu de toute la famille il était possible d’arracher à la terre le pain nécessaire à sa subsistance. La vente de cidre, de châtaignes, de viande, de cornes et de cuirs de bovins, parvenaient à arrondir les revenus. Les marchés des villes étaient bien pourvus de blé navarrais ou castillan qui venait remplacer le déficit naturel de la région.
En moins d’un siècle, la situation médiévale avait radicalement changé: là où il y avait auparavant des paysans craintifs et misérables dans des chaumières en planches, fleurissaient de fiers paysans qui rivalisaient pour construire la ferme la plus grande, celle avec les plus beaux arcs ou avec les tailles en bois les plus artistiques. L’air de la Renaissance soufflait avec force dans les profondes vallées du Gipuzkoa.
Les fermes au temps du maïs
Vers la fin du XVIème siècle, les secteurs les plus actifs de l’économie de Gipuzkoa souffrirent une profonde crise. Les ports de mer vécurent l’effondrement du commerce international du blé et de la laine castillans, ainsi que le blocus des pêcheries de Terre-Neuve, ce que provoqua la décadence de la construction navale, qui avait été jusqu’alors à l’avant-garde de l’Europe. Dans les vallées intérieures, les corps de métiers qui travaillaient dans les villes s’éteignirent et les forgerons connurent d’énormes difficultés pour pouvoir placer leurs produits dans les marchés traditionnels d’Andalousie et de la côte atlantique. L’échec de l’Invincible Armada (1587), où disparurent de nombreux marins et navires gipuzkoans, ainsi que l’apparition d’une poussée virulente de peste en 1598 firent craindre un retour aux temps obscurs du Moyen-Age, que l’on croyait très lointains.
Harcelée par des problèmes qu’elle ne pouvait résoudre, la société du Gipuzkoa se ruralisa rapidement. Les riches se tournèrent vers la ferme car elle constituait le seul investissement sûr où placer les capitaux sans courir le risque de tomber en faillite, et les pauvres regardèrent vers la campagne en y cherchant le travail et les moyens de subsistance qu’on leur refusait ailleurs.
Mais les cultures traditionnelles ne suffisaient pas pour alimenter toutes les bouches de la Province, et les terres susceptibles d’être labourées étaient déjà saturées de personnes qui ne pouvaient accueillir de nouvelles familles. Lorsque l’angoisse commença à se répandre, une plante américaine qui allait totalement changer la vie et les coutumes des paysans basques fit son apparition de manière presque miraculeuse: le maïs.
La nouvelle céréale s’acclimatait rapidement et produisait le triple du volume en grain que le blé; en plus elle s’adaptait parfaitement aux terrains humides et en pente qui avaient été interdits auparavant aux épis méditerranéens.
Les grands propriétaires virent dans cette culture exotique l’opportunité d’obtenir de grands bénéfices de leurs petits bouts de terrain, et ils y fondèrent de nouvelles fermes qu’ils offraient en location; de leur côté, les paysans cadets, qui étaient condamnés à l’émigration, prirent en main leurs fourches à bêcher pour labourer ces terres vierges qui avaient été destinées jusqu’alors aux forêts, aux prés et aux ajoncs. Comme compensation à la disparition des prés naturels, l’on planta des champs de navets et les mois pendant lesquels les vaches et les bœufs restaient enfermés dans les étables augmentèrent.
Personne ne s’enrichit en cultivant le maïs, mais la nouvelle semence importée des Indes aida à survivre dans des conditions dignes un nombre plus grand de familles que celui qui avait accueilli jusqu’alors la campagne du Gipuzkoa. Tandis que le reste de l’économie locale s’écroulait, les fermes non seulement échappèrent à la crise, mais leur nombre, leur population et leur capacité de production augmentèrent. A moyen terme, elles ne purent échapper néanmoins à la chute généralisé des marchés, et le manque d’une demande stimulante obligea les fermes locales à se replier sur elles-mêmes pour se consolider comme un réseau de petites exploitations familiales très conservatrices ayant une vocation d’autosuffisance.
Le cycle expansif du maïs s’étendit jusqu’à la moitié du XVIIIème siècle. Pendant cette période, les familles les plus aisées du Gipuzkoa se livrèrent à accaparer le plus grand nombre de fermes possible et de les maintenir unies au tronc de succession à travers le lien du droit d’aînesse.
Jusqu’alors, le principe selon lequel chaque maison devait être la résidence d’une seule unité familiale avait été scrupuleusement respecté, mais en cherchant des formules qui leur permettraient de tirer un plus grand profit de leurs domaines, les grands propriétaires découvrirent qu’il était beaucoup plus avantageux de louer chaque logis à plusieurs familles de colons. La demande de fermes était si pressante qu’il y avait toujours des candidats désireux de se marier et de s’établir pour leur propre compte, même dans des conditions d’entassement relatif.
Le blé ne connut pas encore son extinction. Sa farine était toujours la plus appréciée et il était très facile de la transformer en duchés sonnants et trébuchants. C’est la raison pour laquelle les propriétaires ont toujours exigé leur loyer en fanègues de blé. Ainsi s’établit un dédoublement absurde du régime alimentaire dans le territoire du Gipuzkoa. Les paysans étaient obligés de semer deux récoltes à la fois: l’une de maïs pour pétrir les tourtes et le pain de maïs qu’ils consommaient, et l’autre de blé pour satisfaire les contributions de l’église et des héritiers des domaines. Ce n’est que vers la moitié du XXème siècle, avec la disparition des offrandes ecclésiastiques et l’accès généralisé des fermiers à la propriété de la terre que l’on abandonna l’effort insensé de faire pousser du blé en bordure du Golfe de Gascogne.
Expansion et décadence de la ferme moderne basque
Au XVIIIème siècle, dans les fermes du Gipuzkoa, hommes et femmes travaillaient d’égal à égal dans les tâches les plus dures; dans les fermes habitées par deux familles, les bras prêts à bêcher et à moissonner pouvaient se compter par dizaines. La production obtenue par chaque unité d’exploitation agricole était élevée mais en revanche le rendement par personne était très bas et la terre était forcée jusqu’à l’épuisement. Pour augmenter les récoltes, les champs étaient bonifiés avec de la chaux de pierre cuite dans des fours artisanaux, mais leur usage abusif et arbitraire parvint à brûler quelques-uns des meilleurs terrains et à les rendre temporairement stériles.
Pendant les dernières années du XVIIIème siècle, tout le monde savait dans le Gipuzkoa que la terre produisait moins chaque année. Et cependant le nombre de bouches à nourrir augmentait toujours. Au début du XIXème siècle, et afin de pallier le manque d’aliments, l’on adopta la solution de fonder de nouvelles fermes en défrichant tous les terrains disponibles, même ceux de mauvaise qualité qui étaient volés aux réserves des prés et forêts de domaine public.
L’invasion des troupes républicaines en 1795 et celle des armées de Napoléon en 1807 rendit les choses plus faciles, car les communes du Gipuzkoa durent affronter d’énormes frais et vendre une partie du patrimoine communal afin de payer leurs dettes. C’est ainsi que les grands propriétaires réussirent à augmenter leur domaine avec de nouveaux prés et de nouvelles forêts, voire quelques vieux ermitages, qu’ils utilisèrent pour installer des locataires pauvres; très souvent dans des endroits éloignés et solitaires avec très peu de chances de réussir à long terme.
Cette expansion eut des conséquences positives car elle fut accompagnée d’un nouveau changement des produits cultivés. C’est alors que les haricots et les pommes de terre firent leur apparition dans l’alimentation populaire. Ces deux produits prirent racine dans le Gipuzkoa à tel point qu’ils constituent aujourd’hui deux ingrédients fondamentaux de la gastronomie traditionnelle. Avec les nouveaux défrichements du XIXème siècle, l’on arriva à doubler le volume de maïs, tandis que la quantité de blé récolté resta stable et d’autres céréales de moindre importance, comme l’orge et l’avoine, disparurent définitivement.
Contrairement aux élégantes fermes en pierre ou en bois latté qui avaient été édifiées lors de la première diffusion du maïs aux XVIIème et XVIIIème siècles, la plupart des constructions rurales du XIXème siècle avaient des dimensions réduites et une pauvre apparence; il s’agissait souvent de simples cabanes pour bétail provisoirement transformées en logis. Au cours de ce processus, le nombre de paysans indépendants du Gipuzkoa fut réduit à sa plus simple expression historique. A l’aube du XXème siècle, huit fermes sur dix étaient occupées par des affermataires modestes, et dans les communes autour de Saint Sébastien, la proportion était encore moindre, car 10% seulement des fermiers étaient propriétaires de la terre qu’ils travaillaient si durement.
L’industrialisation changea radicalement les règles du jeu dans la structure de propriété et d’exploitation de la terre dans le Gipuzkoa. L’expansion des usines sidéro-métallurgiques et textiles, des cimenteries et des papeteries, ainsi que la revitalisation des ateliers d’armes du Deba attira les excédents de population rurale et fut la cause de l’abandon des fermes moins rentables. Les grands propriétaires se virent pour la première fois confrontés au fait de devoir choisir entre le blocage des loyers ou de voir comment leurs champs se vidaient de laboureurs pour les cultiver; ils perdirent très vite leur intérêt envers leur patrimoine agricole, amassé pendant des générations. Les affermataires purent alors leur acheter la ferme à des prix très abordables –il ne reste plus aujourd’hui que 1.500 familles de colons parmi les quelques 11.000 fermes du Gipuzkoa- et entreprirent le dernier changement de cap qu’à connu la ferme locale: l’abandon du blé, des pommiers et d’autres cultures à bas rendement et leur remplacement par des prés à foin et des plantations de conifères à croissance rapide.
Au cours du XXème siècle aucune nouvelle ferme n’a été crée. Cependant un grand nombre de vieux bâtiments ont été rénovés et la plupart se sont adaptés aux conditions modernes d’habitabilité, en sacrifiant –inutilement quelquefois- quelques-uns des éléments qui firent de la ferme du Gipuzkoa l’un de logis ruraux de meilleure qualité d’Europe. A l’heure actuelle, il y a près de 2.000 fermes prêtes à disparaître pour toujours.
Propriété et héritage
Droits d’aînesse, propriétaires et affermataires
La tradition historique et le bon sens ont toujours exigé que la propriété de la ferme et ses terrains soient transmis intégralement au sein de la même famille. Cette raisonnable pratique permit aux exploitations de ne pas se morceler et de se maintenir au dessus du minimum nécessaire pour garantir la survie des laboureurs, mais elle n’empêcha pas de provoquer la formation de quatre groupes sociaux dans la campagne du Gipuzkoa, définis par leur situation différente par rapport à la propriété de la terre.
La classe privilégiée était intégrée par les propriétaires de plusieurs fermes ou nagusiak, qui profitaient des fermages sans se salir les mains. Il y avait ensuite les petits propriétaires ou etxejabeak, hommes respectés qui, même étant en minorité, constituaient l’enseigne du pays, et qui se consacraient personnellement à exploiter les ressources de leur maison domaniale héritée. Le groupe le plus nombreux était celui des affermataires ou maisterrak, qui, en vertu d’un contrat renouvelable, s’installaient dans les fermes des autres et nourrissaient avec leurs récoltes les familles aristocratiques locales.
En dernier lieu, et au niveau le plus bas, on trouvait les domestiques ruraux ou morroiak, qui en échange de la nourriture, du logement et des vêtements, collaboraient toute leur vie aves les laboureurs indépendants et même avec quelques affermataires aisés. Ils recevaient d’habitude un traitement affectueux, mais comme ils n’avaient aucune ressource, ils étaient condamnés à ne jamais pouvoir fonder une famille. Il y avait aussi des ouvriers agricoles salariés, les piontzak, mais leur nombre était insignifiant dans le Gipuzkoa.
La famille la plus puissante de la Province, était celle des Idiaquez d’Azkoitia, successeurs des anciens seigneurs de Loyola, qui entre fin du XVIème siècle et le milieu du XVIIIème réussirent à réunir une demie centaine de fermes réparties entre Beasain, Azpeitia, Azkoitia, Elgoibar, Deba et Mutriku. Sur un plan inférieur, chaque village avait une ou deux fortunes de renom cautionnées par la possession d’une dizaine de fermes aux alentours.
Les grands patrimoines ruraux ne furent pas constitués avec l’achat et la vente des fermes; ils surgirent grâce aux mariages de convenance entre héritiers –très souvent entre deux couples de frères et sœurs- et se consolidèrent avec la fondation de nouvelles demeures dans les zones dépeuplées occupées par les forêts. Lorsque ces biens entraient dans la sphère de la famille, ils restaient unis à celle-ci de façon perpétuelle en vertu du système du droit d’aînesse, de telle façon qu’un seul héritier les recevait tous ensemble et qu’il ne pouvait ni les vendre ni les hypothéquer sous aucun prétexte, même pour payer ses dettes.
La location de la ferme: paiements et échéances
Un autre aspect de la grande propriété fut le grand nombre de colons qui s’établirent dans les fermes du Gipuzkoa en payant leur droit de travailler la terre. Une fois par an et de manière inévitable, presque toujours pour la Toussaint, les maisterrak se rendaient chez leur maître ou leur administrateur pour lui remettre le loyer convenu.
Ce loyer était divisé en plusieurs chapitres. L’argent en espèces n’était qu’une petite partie de la totalité du paiement, tandis que le plus onéreux était la remise d’une quantité variable de fanègues de blé: plus de 1.500 kg dans les cas des fermes les plus fertiles, et à peu près 400 pour les plus modestes. A cela il fallait ajouter les caresses ou cadeaux obligatoires, qui comprenaient des chapons, des moutons, des pommes, des œufs, des fromages, du miel et autres aliments exquis. En dernier lieu, l’affermataire s’engageait à conserver et à améliorer la capacité de production de la ferme, en la bonifiant régulièrement à la chaux et en plantant des pommiers et des châtaigniers. On lui demandait aussi d’effectuer les petites réparations de la ferme, et parfois de refaire une toiture ou de construire un four. Les grands travaux étaient effectués par le propriétaire.
Dans l’ancien temps, la durée des contrats était brève, en général de quatre à dix ans, ce qui permettait au propriétaire d’augmenter périodiquement le loyer et d’y ajouter de nouvelles charges, et en même temps de choisir les candidats les plus travailleurs et ceux qui lui inspiraient une plus grande confiance. Dans des situations normales, ce n’était pas un obstacle pour établir de bonnes relations qui permettaient de renouveler l’accord et même d’assurer la succession des fils de l’affermataire à la tête de l’exploitation, mais pour ce faire il fallait toujours contenter le maître.
Avec l’arrivée de l’industrialisation à Gipuzkoa et la menace du dépeuplement rural, le pouvoir des propriétaires diminua et les laboureurs gagnèrent en stabilité, de telle façon que les dernières générations d’affermataires à peine ont-elles bougé de leur ferme et la considèrent presque comme la leur.
Héritage basque et lois castillanes
Depuis qu’aux XIIème et XIIIème siècles commencèrent à se fonder les premières fermes familiales dans le Gipzukoa, la tradition de choisir un seul enfant pour succéder à son père à la tête de l’exploitation agricole en déshéritant le reste des enfants était déjà instituée. Sur cette base d’héritage indivisible, qui protégeait la viabilité économique de la maison par –dessus le bien- être individuel de ses occupants, s’est formée la classe de petits propriétaires qui a constitué la moelle historique des fermes basques.
Mais la Province de Gipuzkoa était intégrée dans les royaume castillan, et les lois du royaume en matière de successions avaient un esprit totalement différent de la coutume basque. L’ancien Fuero Real (législation des rois de Castille) dont l’application avait été rendue obligatoire à partir de 1348, défendait le droit de tous les enfants à recevoir leur part des biens paternels de réserve légale, et consentait uniquement que l’enfant favori profite d’un tiers de la totalité. Les guipuzkoans essayèrent par tous les moyens que leurs normes particulières fussent reconnues en invoquant –sans aucun succès- que la partition impliquerait la mort de leurs fermes.
Comme ils ne reçurent aucune réponse à leurs demandes, ils durent inventer une formule qui leur permettrait de respecter la lettre de la loi et en même temps d’arriver au résultat pratique de transmettre la maison et les terres à un seul héritier. La solution qui fut adoptée dès le début du XVIème siècle jusqu’à la fin du XIXème fut celle de faire donation de la ferme à l’enfant désigné comme successeur au moment même où ce dernier se mariait. A travers un accord écrit, le fils et sa nouvelle épouse devenaient ainsi propriétaires, mais en échange ils s’engageaient à traiter les parents avec respect, à leur céder en usufruit la moitié des biens reçus et, le moment venu, à leur payer des obsèques dignes. Les autres enfants écartés moyennant un peu d’argent, un coffre et un lit avec de nouveaux draps.
Les parents se montraient normalement méfiants de perdre un peu trop tôt leur autorité, et ils essayaient souvent de retarder le plus possible le mariage, ce qui fit que beaucoup de fiancés guipuzkoans trop impatients concevaient des enfants illégitimes avant le mariage. Finalement, lorsque la nouvelle belle-fille était admise officiellement dans la maison, la mère lui remettait de manière cérémonieuse la grande cuillère en bois avec laquelle elle servait les repas: geste symbolique qui marquait la cession définitive du pouvoir.
Mode de construction de la ferme
Maîtres charpentiers et tailleurs de pierre
Toutes les anciennes fermes du Gipuzkoa furent édifiées par les maîtres charpentiers et tailleurs de pierre professionnels, qui travaillaient par contrat pour le propriétaire et étaient aidés par une équipe d’ouvriers et de domestiques.
Le maître de maison discutait avec le maître d’œuvres sur les différentes caractéristiques de la demeure et la somme d’argent qu’il était prêt à verser, et il coopérait fréquemment en transportant à pied d’œuvre une partie de la pierre, du bois ou de la chaux nécessaires avec sa paire de bœufs.
Le rôle joué par les artisans constructeurs dans la création de l’architecture populaire de Gipuzkoa lui a donné un caractère de robustesse et de qualité qui était peu fréquent dans les demeures des paysans européens. En outre, comme les maîtres travaillaient indistinctement à l’édification d’églises ou de manoirs, ils ne purent éviter de se laisser influencer par les modes de leur temps, ce qui fit que la ferme, sans perdre son caractère fonctionnel et autochtone, fut spécialement sensible aux divers styles artistiques de chaque époque historique.
Au cours du XVIème siècle et une bonne partie du XVIIème, le maître qui concevait les travaux se chargeait de les diriger pas à pas jusqu’à leur finition, qui était célébrée avec un grand banquet. Vers 1650 cependant, ses fonctions commencèrent à se voir dédoublées et c’est alors qu’apparut le personnage du maître qui concevait, décidait et parfois dessinait le type de ferme à construire, mais qui laissait à d’autres maîtres ou ouvriers moins qualifiés le soin de mettre l’idée en œuvre. Lorsque la maison était terminée, il retournait la visiter accompagné d’un expert, et décidait de la somme à payer aux entrepreneurs, qui était en fonction de l’adaptation aux plans marqués.
A partir de la fin du XVIIIème siècle, les premiers architectes diplômés commencèrent à intervenir comme responsables des projets des grandes fermes, dont la première fut la maison Iraeta d’Antzuola, dessinée en 1796 par l’académicien de Bergara Alejo de Miranda.
Contrats et plans de construction
Pendant le XVIème siècle, un accord verbal entre le propriétaire et l’artisan constructeur était suffisant pour que ce dernier mette le chantier en œuvre et s’adapte à la commande reçue. Très souvent, c’était le propriétaire, comme premier intéressé, qui suivait de près les travaux et décidait sur le terrain l’achat des matériaux et le salaire des ouvriers.
Le paysan ne se mêlait pas des aspects techniques, qui faisaient partie du métier appris par le maître artisan, mais il pouvait coopérer avec lui pour prendre des décisions fondamentales, comme par exemple la meilleure orientation de la façade principale de la ferme, qu’on voulait invariablement au soleil du matin.
La qualité finale exigée était élevée, et le processus de construction était extrêmement laborieux, jusqu’au point qu’il pouvait durer jusqu’à deux ans et demi. Il fallait abattre et entraîner des chênes gigantesques, les réduire à des pièces de dimensions différentes, les couper et les assembler à diverses hauteurs, les hausser à force de bras et de poulies rudimentaires tirées par des bœufs. Il fallait extraire les pierres de la carrière au moyen de massues et de pied-de-chèvre, les travailler finement avec un pic, les transporter dans des chariots et les cimenter avec de la chaux et du sable, qu’il avait fallu d’abord cuire au four avec du bois et d’autres chargements de pierres. A cela il fallait ajouter la fabrication de six ou sept mille tuiles et de plusieurs centaines de clous de fer forgés à la main en un effort similaire, ainsi que la fatigue d’unir tous les éléments cités d’une manière ordonnée. On pourra se faire une idée approximative de l’abondance d’énergie humaine engagée dans l’édification de la première génération de fermes du Gipuzkoa.
Construire une bonne ferme au beau milieu du XVIème siècle coûtait à peu près pareil qu’acheter une douzaine de bœufs de trait. Un tiers du budget était versé avant le commencement des travaux et l’autre tiers au moment de poser la toiture, mais la dernière échéance, qui devait être réglée à la fin de la construction, était toujours ajournée pour être payée au long de plusieurs années sous forme de petites quantités de grains, un peu d’argent en espèces, un animal de la ferme ou quelques chargements de bois de chauffage.
Depuis la moitié du XVIIème siècle, les contrats de construction des fermes furent régularisés par écrit devant le greffier du village, et très souvent le maître constructeur dessinait un plan ou traza et rédigeait un rapport contenant les caractéristiques techniques que les entrepreneurs –charpentiers et tailleurs de pierre- devaient s’engager à respecter. On construisit plus tard de très belles demeures, mais avec de plus en plus de modèles et de catégories différentes: de grandes fermes-manoirs avec des arcs et des blasons en pierre de taille, qui intégraient toutes les nouveautés artistiques de l’époque; des fermes modestes à briques lattées; de grandes bâtisses doubles pour les affermataires et des petites granges en planches et maçonnerie pour les locataires les moins fortunés qui gardaient une partie du troupeau de leur maître en gagnant la moitié des bénéfices. Les maîtres offraient une solution différente pour chaque demande, mais ils conservèrent toujours un style homogène marqué par l’unité culturelle et écologique dans laquelle vivait la campagne de Gipuzkoa.
Les matériaux et les techniques de construction
Dans chaque période historique de la vie de la ferme, il fut possible de mettre en œuvre des combinaisons multiples avec les matériaux que la terre offrait. Avec trois ingrédients de base uniquement: le bois de chêne, le grès ou la pierre à chaux, et l’argile pouvant se transformer en tuiles ou en briques, savamment mélangés selon diverses techniques et proportions, il fut possible de préparer un menu exquis pour plus de dix types de maison différents.
Les murs arrière et latéraux des fermes du Gipuzkoa –qui ont généralement une surface rectangulaire- sont toujours en maçonnerie. Cependant la façade principale, qui souligne leur identité, peut être fermée par des planches verticales en bois, par des pierres ou par des poutrelles en lattis formant un dessin géométrique. Dans ce dernier cas il existe deux possibilités pour remplir le lattis: avec une maçonnerie légère ou avec des briques massives, comme ce fut la mode pendant la seconde moitié du XVIIème siècle.
C’est à l’intérieur, et plus souvent dans le grenier à foin, que l’on apprécie mieux l’âge et la technique de construction des fermes. Un grand nombre d’entre elles ont un gros mur mitoyen qui les divise en deux, mais dans celles qui furent édifiées jusqu’à la moitié du XVIIème siècle, le plus normal est de trouver un squelette formé par d’énormes piliers qui remontent du sol et traversent le plancher en bois. Si la maison fut construite pendant la seconde moitié du XVIIème ou au début du XVIIIème siècle, il est facile de trouver dans sa structure un grand nombre de fourches d’arbre naturelles et des bras en courbe servant à maintenir les poutres horizontales. Plus tard le bois perdit son rôle de support et son usage se limita aux planchers et au toit.
La menuiserie populaire du XVIème siècle atteignit un niveau de qualité très élevé, et sa présence est facile à reconnaître dans les fermes du Gipuzkoa car elle utilise une technique sophistiquée d’assemblages latéraux avec des silhouettes en courbe qui rappellent les ailes déployées d’un oiseau.
Celle de la fin du XVIIème et du début du XVIIIème siècle est totalement différente mais également attirante par les formes arborescentes adoptées par leurs piliers et étais. Les joints entre les différentes pièces portent fréquemment les signes et les marques de montagne effectués par le maître qui conçut la structure.
Les cloisons qui séparaient les chambres de la ferme ont aussi connu des modalités différentes à travers les siècles. Celles du début du XVIème siècle étaient de simples cloisons en planches emboîtées; ensuite, ce furent des cloisons faites avec des branches et des bandes en bois entrelacées et ravalées avec du mortier; et finalement, vers la fin du XVIIème, les cloisons en briques et maçonnerie s’imposèrent et furent celles qui à la longue eurent plus de succès.
Vie et travail à la ferme
L’espace familial
Bien que les fermes étaient des bâtiments de grandes dimensions, avec une surface moyenne de 300 m2, l’espace traditionnellement réservé à la vie familiale était si réduit qu’il arrivait à peine à occuper la cinquième partie du volume construit.
La partie réservée au logement occupait toujours le rez-de-chaussée, et ce n’est qu’au cours des cent cinquante dernières années que l’on a commencé à installer des chambres à coucher à l’étage supérieur. Dans les fermes habitées par une seule famille, la zone résidentielle occupait la façade ou toute la partie latérale tournée vers la vallée, tandis que dans les fermes habitées par deux familles, elle se situait toujours du côté de la façade.
La demeure était divisée en deux: la cuisine, sukaldea, et les chambres, logelak. La cuisine, située près de l’entrée et à l’angle avant du bâtiment, était le cœur de la ferme, et surtout l’espace réservé à la parole; c’était l’endroit où se réunissait la famille et où l’on recevait le visiteur, où l’on filait en soirée et où “défilaient” pendant la journée tous les évènements de la vie locale. C’était aussi l’endroit où l’on concluait les mariages et où se réfugiaient les rites les plus ancestraux de la culture populaire basque.
Au cours du XVIème et XVIIème siècles, le feu était allumé sur une dalle placée au centre de la pièce et au-dessus de laquelle était suspendue la crémaillère. Tout au long du XVIIIème et du XIXème, les cheminées à feu bas avec la hotte contre le mur furent de plus en plus fréquentes, et au XXème siècle s’imposèrent les cuisinières économiques à plaque métallique de fabrication industrielle, qui permettaient d’économiser une grande quantité de combustible.
Le meuble principal de la cuisine était le zizaillu ou izillu, un long banc en une seule pièce avec des compartiments sous le siège et un haut dossier auquel était fixée une table escamotable. La vaisselle, très modeste, était composée de pièces en céramique rustique, en bois et parfois en étain: casseroles, pichets, seaux en bois, pedarrak (cruches), terrines, pots et assiettes.
Il y avait dans chaque ferme trois ou quatre lits, chacun d’eux avec leur double housse de lin, ainsi que plusieurs coffres en bois taillé pour garder le linge, Jusqu’à la moitié du XIXème siècle, la chambre à coucher était une pièce unique ou bien était divisée tout au plus en deux chambres différentes. Les maisons où l’on conserve encore l’ancienne chambre à coucher commune, avec sa rangée de cellules encastrées, pas plus grandes que le lit lui-même, isolées entre elles par un simple rideau de tissu, sont de plus en plus rares. Le concept d’intimité a beaucoup changé depuis lors.
L’espace réservé au bétail
Plus que les cultures, c’étaient les animaux domestiques, et surtout les bovins, qui étaient un symbole de richesse pour la ferme. Il n’y avait rien de plus précieux pour les paysans du Gipuzkoa que de posséder une bonne paire de bœufs bien forts et luisants. Récemment encore, lorsque la traction animale était déjà hors d’usage et que les bœufs résistaient à être attelés par manque d’habitude, de nombreux paysans refusaient tout net de se priver de leurs beaux animaux de trait.
Le bétail bovin occupait plus de la moitié du rez-de-chaussée. Chaque animal disposait d’un râtelier en bois sous forme de tiroir, où il introduisait le cou pour s’alimenter, et son lit était disposé sur le sol en terre avec de la paille et des fougères qui seraient utilisées plus tard comme engrais. Jusqu’à la moitié du XVIIIème siècle, deux des râteliers étaient placés sur le mur qui séparait l’étable de la cuisine, avec laquelle ils étaient communiqués par des fenêtres coulissantes. Grâce à ce système, il était possible de surveiller à tout moment les vaches sur le point de vêler ou les bœufs les plus précieux, dont les têtes paisibles faisaient aussi partie des réunions familiales.
On entre directement à l’étable à travers le porche lorsqu’il existe, mais il y a toujours une porte latérale ou arrière complémentaire, qui permet une ventilation rapide et une circulation plus pratique des personnes et des animaux. Pas de fenêtres à l’étable, mais d’étroites ouvertures servant à respirer et ressemblant à des meurtrières. Pas de cloisons de séparation, bien que certains animaux, comme le porc, étaient élevés séparément dans un coin.
Dans l’ancien temps, lorsque les troupeaux de porcs étaient beaucoup plus abondants, il était normal de les lâcher autour de la maison ou de les rassembler dans les forêts de chênes communales.
Quelques fermes des zones de montagne du Gipuzkoa à l’Est de la rivière Oria étaient propriétaires de cabanes situées à proximité des hauts pâturages. Ces cabanes étaient de petits étables pour garder les vaches et les moutons ainsi qu’une provision de paille et de fougères. Leur nombre a diminué petit à petit, mais elles furent très fréquentes dans le passé. Les plus proches de la vallée ou des zones habitées furent transformées en demeures pendant l’expansion désordonnée du XVIIème et XIXème siècles. Les moins accessibles furent abandonnées.
L’espace pour le stockage
Chacun des produits récoltés par le laboureur du Gipuzkoa avait un espace concret qui lui était réservé à l’intérieur de l’architecture de la ferme. Tout l’étage supérieur, ainsi qu’un sous-sol situé sous le niveau de la demeure, étaient réservés au stockage.
Au-dessus de l’étable se trouvait le grenier à foin ou mandio, où l’on empilait l’herbe, le foin et la paille destinés au bétail. Grâce à une petite trappe ouverte dans le plancher en bois, il était très pratique de faire tomber les fourchées nécessaires à l’alimentation du bétail. Depuis le XIXème siècle, et là où la pente du terrain le permettait, l’on essaya d’ajouter une rampe extérieure pour permettre l’entrée des chariots chargés jusqu’à l’intérieur du grenier. Auparavant le foin était lancé à grands efforts à travers une petite porte surélevée.
Dans la partie avant de l’étage supérieur on trouvait les combles ou sabai, bien délimités par des planches en bois ou des cloisons en maçonnerie, et qui avaient parfois un petit balcon sur la façade ouverte. Leur fonction est multiple et variée à travers l’histoire. A l’origine ce fut l’endroit où quelques laboureurs du XVIème siècle gardaient les grands coffres contenant le blé et les pommes ou les fruits qu’ils souhaitaient conserver tout au long de l’année. Avec l’apparition du maïs au début du XVIIème siècle, cet espace fut le plus approprié pour faire sécher les épis et pour éviter que le grain ne fermente, en les étalant sur le sol sec et en favorisant l’aération. Au XIXème siècle il fallut agrandir ces combles afin de laisser de la place aux haricots et à la pomme de terre, qui réclamaient également une surface sèche et aérée. Ils ont aussi servi de colombier, de séchoir à linge et comme mansarde pour garder les vieilles affaires. Au cours des cent cinquante dernières années, un grand nombre de fermiers les ont utilisés pour augmenter le petit nombre de chambres à coucher dont disposent les vieilles fermes.
Les grands coffres à blé trouvaient aussi leur place dans les greniers sur pilotis et les caves. Les greniers sur pilotis appelés garaixe accompagnaient déjà les fermes basques au XIVème siècle, mais, comme toutes les constructions rurales du Moyen-Age, ils souffrirent un changement radical au début du XVIème siècle. Leur vie fut très brève, car leur construction cessa à l’aube du XVIIème siècle; dans le Gipuzkoa leur implantation ne fut pas très importante, exception faite des vallées occidentales, malgré l’exemple d’Agarre, récemment restauré, qui est l’un des plus spectaculaires de toute la Péninsule.
La cave, upategi ou iputeixa, constitue l’un des espaces de stockage qui représentent le mieux certains modèles de ferme du Gipuzkoa par rapport aux autres variétés de maison rurale basque. Ces caves furent construites aux XVIème et XVIIème siècles, en recherchant des terrains à forte pente et en les encaissant sous le flanc du bâtiment le plus proche de la vallée. Il s’agit de salles avec un plafond en bois et un sol en terre battue, qui disposent d’une entrée indépendante et qui sont aérées par deux fenêtres très longues et étroites. On y alignait les fûts de cidre aromatique, qui ne faisaient jamais défaut dans aucune maison du Gipuzkoa, et il y avait aussi un peu de place pour les grands coffres à blé. A l’heure actuelle, elles ont perdu leur noble usage pour être utilisées comme porcherie ou comme étable pour garder les moutons, les lapins et les volailles.
L’espace de travail
La ferme traditionnelle du Gipuzkoa était un outil et un cadre permanent de travail. Dans un seul bâtiment, fermé et compact, on élevait les bêtes et on gardait les récoltes; en outre, on y produisait une grande variété d’objets d’usage domestique qui subvenaient à certains besoins fondamentaux de la famille. Un grand nombre de ces travaux artisanaux, comme la vannerie, le tissage, la taille du bois ou la menuiserie n’exigeaient pas un espace concret: ils étaient confortablement réalisés dans la cuisine ou à l’ombre de l’ample porche.
La ferme disposait également de quelques espaces déterminés spécialement conçus pour effectuer un travail concret, une labeur mécanique ayant un rapport avec le cycle agricole; il s’agissait d’espaces et de structures qui conditionnèrent toute l’architecture de la ferme à certaines époques et qui étaient liés à l’élaboration d’un produit concret. Les plus importants furent le pressoir et l’aire.
Dans les fermes du XVIème siècle et la première moitié du XVIIème, le pressoir, tolare, était une gigantesque machine en bois qui occupait toute l’axe longitudinale de la ferme sur ses deux étages. Ces appareils, destinés à élaborer le cidre, étaient basés sur les principes des pressoirs romains primitifs et étaient formés par une grosse poutre horizontale d’une longueur de douze mètres maximum qui descendait jusqu’à emprisonner la masse de pommes qui se trouvait en dessous au moyen d’une énorme vis en bois. Aucun pressoir ne s´est conservé entier mais les piliers qui réglaient leur mécanisme continuent toujours de supporter plusieurs dizaines de fermes parmi les plus anciennes du Gipuzkoa.
- Broche ou axe ("ardatza")
- Grenier
- Poutre ("puntala").
- Double faîtage
- Poutres à rainures réglant la hauteur ("bernia")
- Grenier à foin.
- Pulpe de pomme
- Pétrin
- Cuve
- Etable
- Poids
- Cuisine
- Porte contre incendies
- Chambres à coucher
- Cave
- Mur mitoyen contre incendies
Les pressoirs qui furent inventés vers la fin du XVIIème siècle furent toujours en bois, mais ils étaient beaucoup plus petits et avaient plusieurs vis à pression directe. Plus tard, au début du XIXème siècle, apparurent de petits pressoirs démontables avec une broche centrale en fer à mécanisme automatique, que l’on compte aujourd’hui en grand nombre.
De même que les pommes, le blé –qui eut des liens étroits avec la ferme basque pendant plus de cinq cents ans- incita également à la création d’espaces appropriés pour son élaboration avant d’être stocké. Les paysans du Gipuzkoa des anciens temps n’utilisaient pas de herse pour séparer le grain de l’épi: ils se servaient de fléaux ou battaient directement les gerbes contre des pierres disposées par terre. Le souhait de pouvoir effectuer cette délicate opération à l’abri des intempéries fut à l’origine de la construction des grands dallés, atai ou aterpe, qui occupaient toute la largeur de la maison. Les porches les plus primitifs étaient des portiques avec des piliers en bois, mais vers la moitié du XVIIème siècle, depuis la haute vallée de Deba commencèrent à se répandre d’élégantes structures avec quatre ou cinq arcs en pierre de taille qui furent imités avec succès par les fermes les plus importantes des alentours. Un grand nombre de maisons de qualité qui, ayant été construites au siècle précédent, n’avaient pas ces nouvelles aires couvertes pour battre le blé, ajoutèrent ce corps à leur façade principale car, outre son utilité, il offrait une image de prestige et de noblesse au domaine. Ce dernier aspect est plus valorisé aujourd’hui que la fonction primitive qui le fit naître.
Défendre la maison du père
Protéger la ferme avec l’aide du ciel
L’on raconte que la maison avait pour les basques un caractère sacré de temple familial, mais cependant ce concept religieux du foyer, très répandu parmi les peuples anciens, s’est dilué très rapidement jusqu’à s’éteindre au cours du siècle dernier. Fort heureusement certains ethnographes, comme José Miguel de Barandiarán, arrivèrent encore à temps pour le capter avant sa disparition à la veille de la Guerre Civile espagnole, lorsqu’il faisait encore partie d’une structure organisée de rites et de croyances. Les éléments magiques chrétiens s’y entremêlaient avec d’abondantes références plus primitives appartenant à un univers mythique naturaliste bien enraciné.
Beaucoup de ces pratiques –qui survivent encore en partie comme gestes traditionnels, bien que sans leur contenu de foi chrétienne– avaient pour but d’invoquer le ciel ou d’autres forces invisibles pour protéger la maison et la famille qui y habitait.
Qui pouvait menacer la vie de la ferme? Les dangers réels ou imaginaires qui effrayaient les paysans du Gipuzkoa étaient nombreux. Le plus terrible était la foudre, qui provoquait tous les ans plusieurs incendies dans la Province; mais aussi la jalousie ou la mauvaise volonté des voisins, qui pouvait entraîner quelque maléfice qui rende malade la famille ou le bétail. La présence d’étrangers, de sorcières –lamiak- et d’autres personnages fantastiques devait être conjurée par des rites appropriés pour leur éviter d’altérer la tranquillité du foyer.
La sécurité était obtenue en plaçant dans la maison des signes et des objets qui agissaient comme des talismans protecteurs. Un grand nombre étaient de type chrétien, comme par exemple les anagrammes “IHS” qui furent fréquents sur les arcades de fermes du début du XVIème siècle, et la croix, qui apparaît sous différentes variantes selon les époques: croix de pierre au faîtage du toit, petites croix bénites en bois clouées aux portes, croix peintes à la chaux autour des fenêtres et finalement, croix taillées sur les poutres et les linteaux.
Certaines plantes et arbustes avaient également des vertus de protection. Surtout le laurier, dont les branches accompagnaient la ferme dès l’instant où la toiture s’achevait. La fleur du chardon était considérée comme très efficace pour faire fuir les mauvais esprits et l’on croyait que l’aubépine avait la capacité d‘éloigner la foudre.
Unis contre le feu
Les rites magiques n’étaient pas suffisants pour éviter que la foudre ou un simple accident domestique fussent fréquemment à l’origine d’un incendie et de la destruction totale des fermes. Pour pallier à ces désastres, l’on créa depuis les plus anciens temps des associations volontaires d’assurances mutuelles où chacun des associés s’engageait à apporter une certaine somme d’argent afin d’aider à reconstruire le bâtiment sinistré. L’une des plus anciennes fut celle fondée par un groupe de propriétaires d’Azpeitia en 1541 à travers l’”Escritura de Concordia en razón de los incendios de casas y sus reparos” (“Ecriture de Concorde en raison des incendies des maisons et leurs réparations”), et une autre, qui fut de longue durée et à laquelle vinrent s’associer quelques laboureurs de Biscaye, l’”Hermandad de Casas Germadas”, Confrérie créé à Bergara en 1657, et qui comptait plus de trois-cents fermes associées vers la moitié du XVIIIème siècle.
Les sommes perçues par ce système étaient importantes et permettaient d’affronter avec une certaine aisance la réédification de la ferme ruinée. Afin d’éviter les fraudes, la personne qui recevait l’indemnité devait construire en un bref délai une ferme complète de dimensions et de qualité régulières; elle ne devait pas se contenter d’effectuer quelques réparations ou d’ériger une cabane. Les propriétaires des fermes en location avaient l’habitude d’inclure les cotisations de l’assurance contre incendies dans les paiements de fermage, de telle façon qu’ils étaient couverts face à toute éventualité sans aucun effort économique de leur part.
Fermes à l’épreuve d’incendies
Dans la bataille contre le feu, certaines solutions architectoniques qui furent adoptées dès le début du XVIème siècle pour protéger les fermes du Gipuzkoa furent beaucoup plus efficaces que les exhortations et les prières.
L’une des plus répandues pendant cette période fut celle de créer un mur intérieur isolant les chambres du reste du logis, surtout des foyers d’incendie les plus habituels comme la cuisine et l’étable. Dans l’étable notamment, l’éclairage avec des lampes à huile et la présence du bétail parmi de grands tas de fougères sèches constituaient une combinaison mortelle. Tous les éléments combustibles étaient exclus de la fabrication du mur coupe-feu qui séparait les chambres à coucher, et même la porte qui le traversait, fermée à clef pendant la nuit, n’était pas en bois, mais en tôle de fer rivetée.
A partir des dernières années du XVIIème siècle, la diffusion des éléments en pierre de la structure des fermes rendit plus difficile la propagation des incendies à l’intérieur, et la construction d’un mur mitoyen transversal solide qui faisait les fonctions de coupe-feu se fit fréquente.
Toutes les fermes du Gipuzkoa gagèrent en sécurité, mais aucune n’alla si loin dans l’adoption de mesures de prévention comme la maison Larrañaga d’Urrestilla. Cette ferme centenaire brûla en Février 1711 et son propriétaire, le tailleur de pierres Martin d’Abaria, voulu s’assurer qu’elle ne brûlerait jamais plus; de telle façon qu’il chargea le maître Lázaro de Laincera de s’occuper d’un projet déconcertant dans lequel aussi bien les supports que les sols et les plafonds devaient être en pierre. Le résultat fut un bâtiment unique en son genre, avec vingt-et-une voûtes de types différents à l’intérieur mais qui reproduit fidèlement les fonctions et l’image extérieure d’une ferme normale.
Les divers types de fermes
L’une des caractéristiques les plus surprenantes de l’architecture rurale du Gipuzkoa est l’extraordinaire variété de types de ferme existant sur un petit territoire ayant à peine 1977 km2. Les raisons de cette richesse spectaculaire de formes typiques sont multiples: d’une part, la fragmentation naturelle de la géographie du Gipuzkoa, compartimentée en vallées mal communiquées entre elles, aurait favorisé le développement de certaines traditions de construction très localisées; d’autre part, la stratification économique des paysans serait la cause de la diffusion de différents modèles de logement adaptés à la personnalité spécifique de chaque groupe social. De même, les facteurs de type naturel ont dû exercer une grande influence, surtout la plus grande disponibilité d’un matériel de construction déterminé –bois ou pierre- par rapport aux autres.
Cependant, la raison qui explique le mieux la grande diversité des fermes existantes –même dans des zones très proches et sans différences sociales ou écologiques bien marquées- est que, malgré le caractère conservateur et répétitif qui est généralement attribué è l’architecture populaire, la ferme basque s’est toujours montrée très réceptive aux changements historiques, aussi bien en ce qui concerne l’incorporation de nouvelles techniques de construction que la rapide assimilation des modes artistiques. Pour comprendre la grande variété des changements provoquée par cette réceptivité culturelle, il faut savoir que presque toutes les fermes qui sont encore debout de nos jours furent édifiées pendant une période de quatre-cents ans, de 1500 à 1900, et que chaque génération avait un façon de faire quelque peu différente de celle de ses prédécesseurs et de ses descendants.
Chaque technique et chaque façon de faire ont leur temps de vigueur historique propre, et un rythme différent d’assimilation, de transformation et de décadence. En les connaissant, il est possible d’ordonner les différents types de fermes par familles et de les situer dans une époque déterminée, en surmontant l’indéfinition habituelle et l’ambigüité chronologique dans laquelle se situe l’interprétation des créations populaires.
Même dans ce cas, il est difficile de faire une synthèse de toutes les espèces de fermes existantes. La variété est si ample que ce qui est recueilli ici ne peut être qu’une brève galerie de façades de quelques-uns de types les plus nets et les plus représentatifs, mais il est évident que la réalité des plus de onze mille fermes du Gipuzkoa est beaucoup plus riche et offre de multiples singularités évocatrices.
Les fermes en pierre de la renaissance
Quelques-unes des premières fermes connues du Gipuzkoa ont leurs façades en pierre. Elles présentent un aspect sévère et hermétique, et elles ont été parfois confondues avec d’anciennes tours qui auraient perdu leurs étages supérieurs. Cependant, les grandes dimensions de leur surface et l’absence totale d’éléments défensifs –parmi beaucoup d’autres détails- sont la preuve qu’elles furent de vraies fermes.
Ces fermes, dont un magnifique exemple est celui de Legarre, à Altzo, n’ont aucun portique ni aucun espace couvert servant de transition entre la demeure et l’extérieur, ce qui est un fait assez fréquent dans le Gipuzkoa, mais peu habituel dans le reste de la côte Cantabrique. L’entrée à la maison est effectuée à travers une porte avec un arc en pierre de taille ouverte sur un côté de la façade. Cet arc est encore gothique pendant les premières années du XVIème siècle, mais il se transforme en une élégante rosace en demi-cercle au cours de ce même siècle.
Un second arc, plus ample, sert d’accès à l’étable, de telle façon que l’espace destiné à la famille et celui destiné au bétail sont clairement et hygiéniquement délimités de l’extérieur.
Les exemples les plus primitifs, comme celui de Legarre, déjà cité n’avait presque pas de fenêtres, et toutes elles qui apparaissent à l’heure actuelle furent ouvertes beaucoup plus tard. Néanmoins cet air de forteresse massive, très net encore dans le cas d’Etxezabal à Astigarribia (Mutriku), disparut rapidement, et vers 1525 proliféraient les maisons avec un grand nombre d’ouvertures pour laisser passer l’air et la lumière, et qui adoptaient presque toujours la forme de fenêtres doubles ou géminées, avec des sièges en pierre encastrés à l’intérieur du mur. La galerie de baies vitrées de la riche ferme Makutso, à Oiartzun, symbolise parfaitement le souhait de se tourner vers le soleil et la nature qui caractérisa l’architecture de la Renaissance en contraste avec le caractère ténébreux du Moyen-Age. En outre, ses linteaux gravés avec de grandes ancres de navires nous font part de l’esprit de cette époque, et évoquent la mémoire d’un homme qui voulut que ses voisins se souvinrent de lui par ses liens avec la mer.
Les fermes en pierre et sans porche ont été construites tout au long de l’histoire, bien les portes archées ne furent plus utilisées dès le début du XVIIème siècle. Cependant il y eut de nombreux cas où l’on rajouta plus tard de grands portiques dallés, comme on a pu le constater dans les fermes Albizua et Agarre de Bergara, ce qui montre que le modèle complètement fermée n’arriva pas à satisfaire pleinement les besoins des paysans du Gipuzkoa.
Les fermes en lattis
Les bâtiments ayant une façade à structure lattée apparente constituent l’une des familles les plus nombreuses de toutes les fermes du Gipuzkoa. Leur construction commença très tôt, au début du XVIème siècle, et ultérieurement leur développement continua jusqu’au XIXème, même s’ils connurent d’importantes variations de type technique.
Leur fondement commun est celui d’arriver à assembler un réseau de poutrelles en bois de dimensions différentes qui se maintiennent entre elles à la verticale. Les creux de ce réseau sont remplis plus tard par de la maçonnerie recouverte de chaux ou de mortier, ou par des briques, qui du fait de leur belle couleur et prix élevé étaient découvertes afin de pouvoir les contempler. La solidité et la relative légèreté de ce type de structures permettaient de donner une grande hauteur à la maison et de créer des auvents, bien que ces derniers furent beaucoup moins fréquents dans la campagne du Gipuzkoa que ce qu’on a l’habitude de penser.
Ce sont le type d’assemblage utilisé ainsi que l’agencement des bois de la latte qui ont permis de distinguer l’âge des différentes structures. Dans les exemples des plus vieilles fermes, comme Agerre (Irura) et Aritzeta Erdi (Alkiza), les poutrelles composent des figures carrées ou rectangulaires très hautes et régulières, surchargées de maçonnerie. A peine existe-t-il des étais ou des pièces obliques, mais lorsqu’ils sont présents ils sont unis aux autres éléments par des assemblages à profil mixtiligne.
Les lattis à briques n’étaient pas habituels avant la moitié du XVIème siècle, exception faite des bâtiments nobles, comme par exemple la maison de Legazpi à Zumarraga. Cependant, lorsqu’ils se firent populaires, ils arrivèrent à enraciner avec une vitalité inconnue dans les autres territoires basques. Ils eurent un grand succès dans toute la vallée de l’Oria, mais par contre la brique reste pratiquement inconnue dans l’architecture populaire de la vallée du Deba. Un grand nombre des artisans tuiliers qui les fabriquaient étaient des travailleurs saisonniers qui venaient du Nord des Pyrénées, et c’est peut-être la raison pour laquelle il était plus facile de les trouver dans les zones plus proches de la frontière. Leur abondance tout autour de Saint Sébastien, avec les beaux exemples d’Urruzmendi à Usurbil, et d’Aliri avec les autres maisons de Zubieta, jouerait en faveur de cette hypothèse. En tout cas, il a été constaté qu’ils ne furent plus utilisés à partir de la moitié du XVIIème siècle. Leur âge d’or fut le XVIIème siècle, où l’on construisit des fermes harmonieuses et rationnelles comme celles d’Ierobi Haundi à Oiartzun, et l’on en reconstruisit d’autres plus rudes, comme celle d’Aranburu Zahar à Aia.
Le lattis avec les creux en maçonnerie fut beaucoup plus courant, aussi bien dans l’espace que dans le temps. Il fut appliqué de la même façon aux grandes fermes sans porche, comme Etxeaundi à Lizartza, et aux grandes maisons à portique, comme Etxeberri à Altzo. On appliqua un plus grand nombre de poutrelles obliques reliant les piliers verticaux de la latte, mais on n’eut jamais recours aux pièces courbes, qui étaient très fréquentes dans d’autres régions d’Europe. Ce n’est que vers le milieu du XVIIème siècle que fut instaurée la mode d’utiliser une grosse fourche d’arbre inversée, placée au pinacle de la façade pour supporter le faîtage du toit, comme on peut le voir encore à Ateaga (Anoeta). A Elkeita (Asteasu), elle se trouve cependant sous les pannes de la charpente.
Les fermes en bois
Les fermes qui conservent encore une bonne partie de leur façade principale fermée avec du bois sont réputées pour être les plus anciennes du Gipuzkoa. En réalité, elles ne sont qu’une variété très attrayante et bon marché de l’architecture en lattis, dans laquelle le réseau de poutrelles a été recouvert à l’extérieur par une cloison de planches verticales clouées ou assemblées.
Ce type d’architecture connut son apogée au XVIème et pendant la première moitié du XVIIème siècle, et était utilisé dans les fermes qui souhaitaient disposer d’un porche mais en utilisant un matériau léger susceptible de ne pas charger leur poutre maîtresse. L’étage inférieur était toujours en pierre, mais l’armature ou le squelette étaient de gros piliers de chêne, comme l’on peut encore voir, parmi beaucoup d’autres, à Urbizu Bekoetxe d’Idiazabal.
Dans la plupart des anciennes fermes du Gipuzkoa ayant leur façade en planches, celles-ci n’apparaissent que sur la partie centrale du frontispice, comme à Izar Haundi de Zumarraga; les cas où les planches font tout le tour du bâtiment sont très peu fréquents. A Gaztelu, à Bergara, où cela existait depuis 1530, elles ont été supprimées après des travaux récents de remodelage. Il est vrai que ce type de structures sont très fragiles et difficiles à isoler du froid et de l’humidité, ce qui rend compliqué leur entretien à l’heure actuelle. Aujourd’hui le bois n’est conservé et fréquemment renouvelé que dans la partie la plus élevée des combles, comme dans la ferme Lazpiur de Bergara, cinq fois centenaire, et qui sert à aérer le grenier à foin.
Un type de ferme en bois caractéristique de Gipuzkoa est constitué par certaines fermes auxquelles on ajouta un bâtiment juxtaposé è la façade principale, avec une aire très vaste à portiques au rez-de-chaussée, et au-dessus un ample grenier avec des murs en planches, et le tout monté sur des piliers. Le meilleur exemple de conservation est sans nul doute la ferme Igartubeitia d’Ezkio-Itsaso, mais d’autres exemples survivent encore, comme celui d’Arandi, à Ormaiztegi, qui fut la maison natale du général carliste Tomás de Zumalacarregui, ou Izarre Haundi à Gabiria, et Aginaga à Azkoitia. Elles semblent très archaïques, mais correspondent à une situation évoluée de la demeure basque, bien qu’elles aient été construites avec des moyens pauvres.
6.4. Les fermes avec portiques
En ce qui concerne l’architecture et la qualité de la construction, les fermes dont le porche est défini par des grands arcs en pierre de taille se trouvent au sommet de l’évolution historique de la maison populaire du Gipuzkoa. Leur solidité, leurs conditions d’habitabilité et leur aspect élégant n’ont presque pas leur pareille dans l’architecture rurale européenne.
Leur diffusion est liée au grand développement que connut le métier de tailleur de pierres du Nord aux temps du Baroque. Leur naissance survint vers la moitié du XVIIème siècle et leur implantation connut un grand succès auprès des paysans les plus aisés, qui contemplaient leur époque avec confiance à cause de la bonne acclimatation du maïs.
La zone où elles se trouvaient en plus grand nombre est celle du quart sud occidental du Gipuzkoa. Il y a des fermes avec une, deux, voire cinq grandes arches ouvertes sur la partie inférieure de la façade. Cependant, alors que les maisons ayant une ou deux rosaces en pierre sont habituelles dans la zone Est de Biscaye, dans la vallée d’Aramaiona à Alava et dans tout le Nord-ouest de la Navarre, celles avec trois rosaces ou davantage constituent une variété de maison rurale basque unique et exclusive au territoire du Gipuzkoa.
Ces dernières sont celles qui donnent l’image la plus seigneuriale. Il s’agit très souvent d’immenses granges à trois ou quatre étages, comme celle de Lardamuño à Zizurkil, avec une surface de plus de 500 m2 sous une énorme couverture en tuiles. Malheureusement cette image est très souvent mutilée, car par suite de l’abandon des fonctions agricoles du porche, l’on prit l’habitude de murer quelques-unes des arches afin d’élargir la cuisine et d’autres dépendances. C’est ce qui arriva avec des maisons aussi traditionnelles que celles de Laskibar à Irura, Eduhegi à Bergara et Madalena à Segura.
L’un des plus importants progrès observés lorsque commencèrent à proliférer les fermes à arches et murs de soutènement fut constitué par le fait que le bâtiment pouvait s’accroître en hauteur sans mettre sa stabilité en danger. Cela permit vers la moitié du XVIIIème siècle, d’occuper l’étage supérieur comme demeure, en augmentant le nombre de chambres à coucher et en introduisant un espace plus noble qui était utilisé comme salon pour recevoir les invités pendant les cérémonies familiales telles que les mariages, baptêmes et enterrements. L’ajout d’un étage est bien net dans les cas les plus évolués, comme Gurrutxaga à Zumarraga et Lapatza à Antzuola, mais il est encore inexistant chez leurs prédécesseurs, comme Irazabal Etxeberri de Bergara.
Les fermes sans portique
La dernière génération des fermes du Gipuzko, celle du XIXème siècle, renonça à l’utilisation des portiques, aussi bien ceux qui étaient construits avec des arches que ceux à grand linteau de bois. Il s’agissait en partie d’un défi pour conserver un style de vie plus discret er réservé, enfermé au sein du groupe familial, mais aussi d’une réponse à la nécessité de rationaliser l’architecture domestique.
En pratique, cela impliquait le triomphe d’un type de ferme plus archaïque, la ferme en pierre de tradition gothique-renaissance, mais il y avait quelques différences importantes qui étaient le fruit d’une évolution de plus de trois siècles. En principe, si l’on procède à une comparaison superficielle, les fermes modernes étaient édifiées avec des matériaux de moindre qualité, car elles n’avaient plus les grandes poutres en chêne et les arcs en pierre de taille caractéristiques des maisons du XVIème siècle; mais en contrepartie elles étaient plus confortables: elles disposaient de grandes fenêtres et de nombreuses ouvertures qui laissaient passer la lumière de l’extérieur, elles étaient mieux isolées, elles avaient des chambres à coucher dignes et indépendantes, des cuisines à cheminées fonctionnelles et elles étaient mieux adaptées pour le travail avec le bétail et les récoltes.
Les premiers exemplaires, comme celui d’Igor Txiki d’Ernialde, présentent encore le goût rustique de la pierre taillée par les tailleurs de pierre traditionnels, qui se détache de la couleur blanche de la chaux sur les séries de fenêtres similaires et bien ordonnées, selon le critère de rationalité qui était imposé à tous les édifices néoclassiques. Plus tard, on ne recense que de grandes bâtisses, comme celle d’Arane Goikoa à Eskoriatza, où l’ordre des portes et des fenêtres est maintenu d’une façon rigide et monotone, mais qui ne présente que des pauvres linteaux en bois ou en briques crépies.
A l’heure actuelle, nous pouvons affirmer que c’est le type de ferme le plus répandu dans le Gipuzkoa, bien que très souvent, et derrière le maquillage d’une façade en apparence moderne, se cache la structure complexe d’un édifice centenaire qui a essayé de s’adapter à sa façon au rythme des temps.
Les ornements
Le bois
En partant du fait que la plupart des fermes du Gipuzkoa sont des ouvrages avec de grandes vertus de construction mais très sobres du point de vue plastique et ornemental, même si on les compare à d’autres modèles de maison populaire basque, il faut cependant reconnaître que le bois est le type de support le plus souvent utilisé pour tailler les ornements et les motifs de décoration.
La période la plus brillante de la menuiserie populaire du Gipuzkoa fut celle comprise entre le XVIème et le XVIIème siècle, où l’on perçoit que les artisans locaux, outre le fait d’avoir un répertoire de formes propre, étaient parfaitement informés des goûts et des sujets ornementaux les plus répandus dans les régions voisines, depuis le Sud de la France jusqu’au Duero.
Les années du milieu du XVIème siècle connurent une floraison de la taille en bois, à laquelle les fermes basques prirent une part active. A cette époque, le décor se concentre surtout sur les garde-fous des façades en planches ou en lattis et sur les consoles et jambes de force du toit. Un vaste répertoire de figures géométriques taillées à l’herminette ou au ciseau à bois recherchait le contraste des plans et marquait les effets du clair-obscur. Les formes les plus habituelles étaient les cordelières, les émondes, les têtes de clous, les pointes de diamant, les férules, les macles, les striures et parfois des hélices solaires et des rosaces biseautées, en somme, un répertoire qui a sa plus parfaite expression dans le chœur de Notre-Dame l’Antigua de Zumarraga.
Dans les maisons à lattis, et surtout dans celles qui ont un auvent, il était également habituel, pendant la première moitié du XVIème siècle, de tailler l’une des poutres horizontales avec une frange de petits arceaux surbaissés en accolade, comme ceux de Txulaene Goikoa à Oiartzun ou d’Aritzeta Erdi à Alkiza, faisant usage d’un thème en provenance du Pays Basque français.
Les menuisiers de la Renaissance accordèrent une attention spéciale à d’autres endroits de la maison, comme les supports des piliers et les limons des escaliers. Dans ces deux cas ils avaient très souvent recours à des séries d’émondes afin d’adoucir l’arête du bois.
Au XVIIème siècle, la menuiserie populaire du Gipuzkoa s’attache à rehausser d’autres points d’intérêt, et va se concentrer dans la taille des têtes des pannes du toit qui sont décorées avec des volutes végétales, d’autant plus charnues au fur et à mesure que s’impose l’esthétique baroque. La partie centrale de la volute porte un cordon ou une file de perles, comme il est facile d’apprécier à Otabardi d’Asteasu. A cette époque abondent aussi les barreaux de bois tournés sous forme de vase, très fréquents dans les balustrades des balcons et des escaliers.
La figure humaine n’est presque pas représentée, sauf quelques exceptions intéressantes, comme les masques ouvragés à Arrillaga Haundi et à Zumitza d’Alkiza.
La pierre
Les ornements en pierre étaient réservés aux fermes les plus riches du Gipuzkoa et étaient habituellement dosés par petites quantités. Chaque époque eut ses préférences bien marquées, presque toujours en accord avec le langage artistique de la période en question. C’est ainsi que pendant la première moitié du XVIème siècle, les seuls ornements où le tailleur de pierres pouvait montrer son talent étaient les médaillons de protection –avec le monogramme du Christ écrit en caractères gothiques- qui étaient placés au dessus de la porte principale, et les moulures qui encadraient les fenêtres. Les ancres profilées sur le linteau de la maison Makutso à Oiartzun sont considérées comme un cas d’expressivité absolument exceptionnel.
Au XVIIème siècle le nombre de pièces ouvragées augmente légèrement. Les cadres des fenêtres des maisons les plus nobles se soignent toujours, mais avec des moulures à caissons classiques comme celles de la ferme Elorrieta d’Asteasu. En outre, les tailles héraldiques se répandent avec l’apparition de magnifiques écussons qui portent souvent des inscriptions identifiant les armoiries du nom de la famille et l’année de construction du bâtiment. Dans certains cas, comme à Iriarte Bekoa d’Antzuola, d’élégantes colonnes toscanes aident à supporter le vol de la poutre du porche, mais leur nombre est presque insignifiant si on le compare à celui qui est habituel dans les contrées orientales de la Biscaye.
Au XVIIIème siècle, les armoiries se distinguent toujours comme l’élément le plus soigné de la taille artistique sur pierre, et sont surchargées de garnitures, mascarons et rocailles. Pendant cette période un grand nombre des fermes les plus nobles, comme l’imposant Azpikoetxe de Berastegi, prennent l’habitude, déjà amorcée au cours du siècle précédent, d’entourer toutes les fenêtres de la façade principale de moulures lisses formant des oreillettes caractéristiques aux sommets des angles, clairement identifiables avec l’esthétique sobre du baroque du Nord. Les fermes du XIXème siècle ont à peine des travaux d’ornement en pierre, exception faite des nouveaux écussons à la taille nette et effilée, ainsi que quelques grandes plaques qui rappellent la date d’inauguration du bâtiment et le nom de son promoteur, comme c’est le cas d’Orbe Haundi à Bergara.
Le fer
Dans une terre qui est arrivée à survivre grâce à la forge et à l’exportation du fer, il est surprenant que ce métal ait été très peu utilisé dans la décoration des fermes.
Au XVIème siècle, lorsque les Basques n’avaient presque pas de concurrence en Europe dans la production sidérurgique, le seul élément en fer ayant un certain charme décoratif que l’on pouvait trouver dans les fermes du Gipuzkoa étaient les lourdes portes en métal des murs coupe-feux, qui étaient ornées de gros anneaux suspendus et de quelques simples incisions géométriques faites sur le verrou.
Au XVIIème siècle les travaux de forge apparurent à l’extérieur et se concentrèrent dans les ferrures des portes: clous à têtes en losange ou en étoile, plaques de serrures à profil sinueux, et parfois de gros marteaux de porte. D’autre part, bien qu’au cours de ce même siècle et au siècle suivant les hommes du Gipuzkoa étaient réputés pour leur grande habilité dans la manufacture de grilles, leurs produits ne furent que très rarement installés dans les fermes, car leur coût élevé ne les rendait aptes que pour les églises et les palais. Lorsque l’on trouve dans certaines fermes des grilles aux fenêtres du rez-de-chaussée, il s’agit normalement de simples barreaux de fer quadrangulaires placés au XIXème siècle. Il est très rare de voir les beaux profils coniques ou sous forme de bourgeons qui caractérisaient les époques précédentes.
Le répertoire des accessoires et des ornements artistiques de la ferme est discret, comme il correspond à un édifice qui n’a aspiré tout au long de l’histoire qu’à rendre plus supportable la dure vie des paysans. Cependant, ce n’est pas dans le domaine facile des ornements que la ferme met sa beauté en valeur. La fascination qu’elle suscite naît au moment où sa silhouette se découpe dans le brouillard, avec son volume éclatant et ses formes solides, anciennes et éternelles. C’est là que se trouve la ferme, la vieille dame des vallées.









































































































